40 ans de rock et danse
Le rock et la danse ne se sont jamais mis en ménage, l’époque ne s’y prêtait guère. Mais la danse contemporaine, dite aussi « la nouvelle danse française » est rock’n roll, de toute évidence, adoptant l’attitude et les valeurs de ce genre musical, son look aussi parfois, de la même manière qu’elle fut influencée par les pensées soixante huitardes, sans en être directement actrice. Sans copier les gestes des rockeurs, elle en garde l’énergie, l’effronterie, la désinvolture désenchantée, le plaisir de l’écriture et une certaine arrogance, indisciplinée dans sa discipline même.
Salut les Copains
« Entre solitude et communauté, quels vestiges de ces corps (peut-être) contradictoires me reste-t-il aujourd’hui, alors que nous tentons encore, quoiqu’il arrive, de danser sur les ruines d’une nuit à jamais dissipée ? »
Christian Rizzo
Par amour pour eux, pour avoir fréquenté les salles de concert, pour avoir dansé sur leur musique par forcément lors de spectacles mais par exemple dans des clubs londoniens, des chorégraphes ont mis en scène leurs « idoles » pour prolonger leur mouvement par leur propre danse, pour les moquer aussi gentiment, pour rendre un hommage décalé à des chanteurs, bêtes de scène, qui ont nourri leur imaginaire.
Jean-Claude Gallotta met en gestes la chanson de Gainsbourg « L’homme à tête de choux » via Bashung décédé malheureusement avant le spectacle. Christian Rizzo fait revivre ses années clubbing post-punk animées par Ian Curtis. Dans son spectacle, une ombre passe comme une menace, cette menace sous-jacente que l’on retrouve dans le rock. Lisbeth Gruwez est terriblement Patti Smith, même si le spectacle fait référence au groupe Can, accompagnée par son complice, compositeur et musicien Maarten Van Cauwenberghe.
Birth of Prey - Lisbeth Gruwez
Le syndrome Ian - Christian Rizzo
Irrévérence
« Dans cette rencontre d’un musicien de rock et d’un danseur chorégraphe contemporain naît une complicité nécessaire : devenir autre pour vivre. » Jean-Paul Montanari, à propos du spectacle de Dominique Bagouet et Sven Lava : F. et stein.
Pour être irrévérencieux, encore faut-il savoir faire une révérence, autrement dit connaître ses classiques. Dans ses chorégraphies les plus atypiques, Dominique Bagouet fait la grimace sur la musique des Doors pour rompre avec le quotidien pressurisant d’un directeur de Centre Chorégraphique (il le fut à Montpellier de 1980 à 1992). Avec le guitariste rock Sven Lava, il électrise sa gestuelle pour des coutures chirurgicales dignes de Frankenstein. Il convoque aussi des personnages outranciers, renvoyant au cabaret, notamment de la danse allemande Valeska Gert ou de la culture populaire en « marcel » marseillais.
Andy Degroat dans son costume de serveur stylé se pète la gueule et s’amuse avec le vidéaste Charles Picq. Très à part, relecteur zélé des grands classiques, maniant l’éventail et interprète et chorégraphe de Bob Wilson, il joue du « comique » de répétition dans La Petite Mort, une vidéo tournée avec Charles Picq, artiste qui accompagna de nombreux artistes et fut d’ailleurs à l’initiative de Numeridanse.
Quelques années plus tard, François Chaignaud détourne les pointes classiques pour un ballet blanc musclé et millimétré. Son travail croisera d’autres musiques et styles, dont le vogueing pratiqué par les Noirs-Américains.
« Rien ne m’intéresse en dehors de la révolte, du désordre, du chaos…de toutes les activités qui paraissent n’avoir aucun sens »
Jim Morrison
Violence
Mise en scène, obscène, souvent associée aux drogues et au sexe, la violence autant dans le public que sur le plateau, ruinant parfois le corps des rockers est intrinsèquement liée au rock. Sans entrer dans les histoires personnelles de chacun, elle est en tout cas une manifestation claire de la résistance à toute forme d’oppression ou d’autorité. La danse sait la figurer.
Oona Doberty évoque la violence des adolescents irlandais, en leur empruntant leurs codes pour une nouvelle syntaxe. Elle prend leurs postures pour mieux donner à comprendre une violence quotidienne pas si ordinaire que cela. Lia Rodriguez qui travaille entre autres dans une favela de Rio retrouve la sauvagerie salvatrice des corps. Elle mêle les cultures ancestrales brésiliennes et indiennes aux dérèglements actuels dans une danse très animale. Fabrice Ramalingom remet au goût du jour mais avec distance le pogo, une danse punk-rock des années 70-80 où le principe du jeu était de se bousculer, de se rentrer dedans littéralement. De ces affrontements sur les pistes de danse, il écrit un manuel dansant du vivre ensemble.
My Pogo - Fabrice Ramalingom
Elégance décalée
Chic et choc, ne suivant guère les codes de la mode mais en s’en jouant, les chorégraphes ne manquent pas d’élégance. Mathilde Monnier et Jean-François Duroure sont plus punk que leurs kilts. Régine Chopinot s’entend à merveille avec Jean-Paul Gaultier pour un défilé déjanté avec des danseurs beaucoup moins conformes aux canons de la beauté tristement normalisés que les top models. Karole Armitage, désignée par la « punk ballerina » par la critique américaine déstabilise les pas classiques pour en faire une rave à bout de souffle. Toutes et tous, plus féministes que l’histoire le raconte, cherchent ce point de possible rupture avec une société qui ne propose que la rébellion, le cynisme face à la montée du libéralisme à outrance et aux consignes dictées par les lois de la consommation.
« Le rock n’est pas seulement du show biz mais aussi une culture, une pensée, un absolu, poussés parfois jusqu’à la souffrance et la mort »
Jean-Claude Gallotta, Propos recueillis par Pierre Notte - Théâtre du Rond Point – 2015
Sur la scène musicale, les rockers ont inventé leur propre répertoire gestuel, se laissant guider par leur énergie, leur instinct ou en travaillant leur look. Plus préoccupés par la danse que par la chorégraphie (sauf des James Brown, Michael Jackson, Madonna…), prennent la scène comme on prend la vie. Individualistes, sexy, ravageurs, ivres de vie, les rockers et rockeuses fascinent le public, pas seulement pour leur excès mais par leur manière d’imposer leur mode de vie, de le divulguer, sans compter leurs jours et leurs nuits.