les ballets C de la B et l'esthétique du réel
« Cette danse s’inscrit dans le monde, et le monde appartient à tous »
les ballets C de la B (Ballets Contemporains de la Belgique), ont été créés en 1984 par un groupe d’artistes-amateurs flamands. Parmi eux : Alain Platel. Orthopédagogue de formation, il est aujourd’hui metteur en scène et incarne la figure de proue de la compagnie. Cette dernière s’inscrit dans une tendance transdisciplinaire qui a révolutionné la danse belge des années 80, notamment grâce à la présence d’artistes et d’interprètes aux parcours éclectiques. En 1996, la pièce d’Alain Platel Bonjour madame etc... est programmée à Avignon, marquant le début de son succès en France.
Une création dans le présent
les ballets C de la B sont nés à une période où la Belgique n’offrait pas de soutien solide aux jeunes compagnies. Ces dernières devaient faire par elles-mêmes et surtout avoir la passion de faire.
“A Gand, pas mal de gens travaillaient comme ça, dans les squats, les appartements.”
C'est avec cette mentalité que de nombreux artistes de qualité travaillant sur l’expressivité du corps se sont révélés et ont permis à la Belgique de jouer un rôle central dans le champ de la danse contemporaine, en prônant une innovation permanente, en donnant des visions inédites du monde où le geste dansé s’associe à la parole, le théâtre à la danse et à la performance.
« Le pays est déchiré par cette histoire de Flamands et de Wallons. C'est une identité très bizarre. On a été influencés par tout le monde et j'ai l'impression que, du coup, on a moins de références uniques »
(Alain Platel)
Écartelée sur les plans culturel, économique et linguistique, la Belgique doit faire face à une période de grand renouveau dans les années 1980. Ainsi, son paysage chorégraphique s’inscrit dans une effervescence créatrice que les difficultés vont nourrir en abondance, ouvrant un sillon durable pour la carrière de personnalités fortes.
Bonjour madame, comment allez-vous aujourd'hui, il fait beau, il va sans doute pleuvoir, etcetera. (1993)
« C’est après un voyage au Brésil en 1992 que j'ai eu envie, ou plutôt besoin de faire Bonjour madame [...] J'ai pris les chemins interdits et me suis retrouvé face à des enfants agresseurs. Il ne s'est rien passé mais je me suis dit qu'ils auraient pu me tuer ou que j'aurais pu les tuer et cette violence-là est très troublante [...]. »
©Chris Van der Burght
Lourdes – Las Vegas est un film réalisé par Giovanni Cioni sur le spectacle Bernadetje. Il parvient à montrer avec humour et tendresse l’étendue de la misère urbaine flamande et de ses ghettos. Il y retransmet des éléments bruts par le biais de la scénographie et de ses interprètes : un groupe d’adolescents amateurs.
MOEDER EN KIND (1995)
Ce spectacle est adapté du travail du photographe britannique Nick Waplington.
Alain Platel remarque une particularité chez les enfants : « C'est un autre regard, une autre atmosphère, et en plus ce sont les meilleurs critiques. Quand ils regardent les répétitions et que ça ne leur plaît pas, ils sont très directs. Je prends très au sérieux leurs remarques. »
©Phile Deprez
L’esthétique singulière des ballets C de la B
Alain Platel diversifie les références qu’il convoque dans ses œuvres. Il pioche autant dans la culture populaire que dans les références dites “savantes”. Il mélange les cultures et les folklores et met en avant les individualités marginales aux parcours atypiques. En 2006, Il chorégraphie VSPRS, l’adaptation chorégraphique de l'une des grandes œuvres du répertoire liturgique, Les Vêpres à la Vierge de Claudio Monteverdi.
« Un ensemble baroque, une soprano et l'orchestre jazz d'Aka Moon, mêlé de rythmes tziganes, sont réunis sur scène » (Hildegard De Vuyst)
Requiem pour L. (2018)
Au-delà du mélange culturel, les ballets C de la B brouillent les frontières artistiques. Les danseurs s’improvisent chanteurs, les musiciens, comédiens. Cette transdisciplinarité a toujours été un axe moteur dans les propositions de la compagnie. Les rencontres entre des personnes d’origines et de formations artistiques variées façonnent aussi une impulsion génératrice d’un nouveau langage corporel. Alain Platel raconte qu’il a commencé à travailler sur la transdisciplinarité suite à un stage en 1980 avec Barbara Pearce, chorégraphe canadienne vivant à Paris.
COUP FATAL (2015) est écrit comme un concert : des musiciens issus de la culture traditionnelle de Kinshasa interprètent le répertoire baroque européen. Ce projet a mûri pendant 3 ans, à l'issue de la tournée de pitié ! en 2009. C'est par la volonté du contre-ténor Serge Kakudji que l'idée de partager des arias d'opéra avec des musiciens congolais fut finalisée.
Dans les œuvres de Platel, la musique est un réel moteur d’expression et elle est souvent jouée en live. De plus en plus présente dans le répertoire des ballets C de la B, la création sonore et musicale est assurée par des musiciens professionnels et amateurs, des danseurs et des chanteurs. Par exemple, Requiem pour L (2018), est une traduction visuelle et physique des images et associations évoquées par un Requiem.
Dans C(H)ŒURS, Alain Platel reprend les célèbres chœurs des opéras de Verdi et des compositions de Wagner sur commande du Teatro Real de Madrid (dirigé par Gérard Mortier). D’après un point de vue politique, il ausculte les dynamiques du groupe et de l’individu en son sein.
La Tristeza Complice (1995)
De par sa formation d’orthopédagogue, Alain Platel est sensible aux questionnements liés aux maladies mentales et aux handicaps moteurs.
Ainsi, il propose aux spectateurs une interprétation du vécu de ces personnes marginalisées.
Par exemple, la gestualité de La Tristeza Complice (1995) est basée sur le syndrome de Gilles de la Tourette qui se caractérise par une incapacité de contrôler les impulsions motrices, engendrant des tics verbaux et physiques. Autre exemple, le spectacle Wolf , créé en 2003, met en scène deux acteurs sourds.
La pathologie est toujours présente dans les œuvres actuelles de la compagnie. Elle est comme une inspiration pour les interprètes, devenus professionnels et virtuoses de la danse, qui en font émerger un langage gestuel extrêmement riche et complexe, incarnant les blessures de notre monde.
Tauberbach (2014) est inspiré de musiques de Jean-Sébastien Bach chantées par un chœur de personnes sourdes et du film documentaire Estamira de Marcos Prado, portrait d’une femme schizophrène vivant depuis une vingtaine d’années dans un dépotoir à Rio de Janeiro.
« Faire un spectacle, c'est d'abord rencontrer des gens très différents. » (Alain Platel)